Plaidoyer pour les traducteurs de comics, ces héros de l’ombre

Sauver la langue française

La traduction de comics américains en français est une performance invisible. On lit, on rit, on frissonne… mais on oublie que derrière chaque réplique culte, chaque dialogue qui claque, il y a un traducteur. Un artisan du verbe, un funambule du sens, qui marche sur le fil tendu entre fidélité à l’œuvre originale et adaptation au lecteur francophone. Et pourtant, son nom reste relégué au fin fond des bouquins, là où personne ne l’entendra crier sa frustration.

À l’heure où l’intelligence artificielle menace d’automatiser jusqu’aux émotions, j’insiste : traduire un comic book, ce n’est pas transposer des mots avec le dictionnaire sur les genoux, c’est transmettre une voix. Une voix humaine.

Comment un lecteur francophone peut-il rire, frissonner, s’émouvoir ou s’indigner devant un comic book américain si ce n’est grâce à la voix, pourtant invisible, du traducteur ?

C’est là toute la magie et la difficulté de la traduction de comics : réussir à transmettre avec justesse le ton, le rythme et la personnalité des personnages sans trahir l’intention de l’auteur original.

Le traducteur littéraire, et a fortiori celui de comics, est un artisan du verbe, un passeur de culture, un interprète des émotions. Pourtant, sa reconnaissance est inversement proportionnelle à son impact. Car oui, la traduction est un art en soi, nécessitant une finesse et une créativité particulières pour capturer l’essence de l’original tout en adaptant le texte à une nouvelle audience.

J’ai eu le privilège de travailler sur des œuvres incroyables. Des comics que j’ai lus quand j’étais petit comme les Uncanny X-Men de Chris Claremont ou les Teen Titans de Marv Wolfman aux séries plus modernes que j’ai adoré en tant que lecteur adulte : les Green Lantern de Geoff Johns, Invincible de Robert Kirkman, Rorschach de Tom King. Je me suis éclaté comme un petit fou en adaptant les dialogues flamboyants de Negan dans Walking Dead. Les dialogues de toutes ces séries ne se sont pas écrits tout seuls, et pourtant, ma contribution reste souvent invisible.

Negan : traduction de comics américains en français signée Edmond Tourriol.
Qu’est-ce que je me suis marré à le faire parler, ce Negan…

La traduction de comics américains en français : un art bien plus qu’un simple transfert de mots

Ce que beaucoup ignorent, c’est que la traduction de comics américains en français ne consiste pas simplement à remplacer des mots. C’est une recréation, ligne après ligne, pensée pour une autre culture, un autre public. Une transcréation, même.

Negan. Sa batte, son couteau. Son charisme brut. Son langage cru. Son humour noir. Il y a une musique dans ses mots, un rythme, une énergie. Reproduire ça en français sans trahir l’original, c’est une performance. Et cette performance est humaine. Profondément humaine.

On l’oublie souvent, mais chaque dialogue culte dans une bande dessinée traduite est le fruit du travail minutieux d’un traducteur de BD, qui doit jongler entre fidélité et créativité.

Aujourd’hui, avec l’avènement de l’intelligence artificielle, certains pourraient penser que la traduction de comics pourrait être automatisée. Cependant, l’IA est loin d’être capable de réaliser une traduction littéraire de qualité.

Elle peut traduire les mots, oui. Mais peut-elle saisir la voix intérieure d’un personnage, sa complexité, ses références culturelles, son humour à double tranchant ? Non.

Dans le monde de la BD, où les dialogues sont essentiels, il est particulièrement difficile de rendre les échanges vivants, percutants, drôles ou émouvants. Une machine ne peut pas saisir les nuances, les émotions ou le contexte culturel de la même manière qu’un traducteur humain.

C’est particulièrement vrai dans la traduction littéraire, où l’humour, les jeux de mots ou les références pop nécessitent une adaptation fine, loin de toute automatisation.

Et pourtant, cette voix humaine reste effacée.

Les éditeurs omettent fréquemment de mentionner les traducteurs dans leurs communiqués de presse ou leurs catalogues. Les chroniqueurs BD semblent penser que des auteurs comme Robert Kirkman écrivent directement en français.

L’illusion de l’auteur unique : quand le traducteur disparaît du paysage

Comment ne pas y voir une forme d’effacement symbolique ? Cette invisibilité est symptomatique d’une méconnaissance plus large du rôle du traducteur. Si les lecteurs ne se rendent pas compte qu’un livre a été traduit par un humain, alors ils ne risquent pas d’imaginer le processus de réflexion et la quantité de travail nécessaires pour produire un texte traduit de qualité.

Et là est tout le nœud du problème.

La traduction ne se résume pas à une simple équivalence entre deux langues. Ce n’est pas un copier-coller de vocabulaire. C’est une réécriture, une adaptation pensée pour un nouveau public.

C’est un art qui nécessite une véritable compétence pour créer des textes que le lecteur souhaite lire, qui respectent le ton, l’intention, le style de l’auteur original tout en les rendant fluides, naturels et captivants dans une autre langue.

Le rôle des traducteurs est essentiel dans la construction de ponts entre les nations et les cultures

Les comics sont devenus un pilier culturel mondial, influençant le cinéma, les séries TV, les jeux vidéo : leur traducteur ne peut être un figurant. Il est co-auteur de cette transmission. Il mérite d’être reconnu comme tel.

Alors non, ce n’est pas un caprice. Ce n’est pas de l’ego (enfin, pour moi, si, mais la plupart de mes confrères sont beaucoup plus modestes). C’est une revendication légitime. Il est temps de reconnaître et de valoriser le travail des traducteurs, ces artistes de l’ombre qui jouent un rôle capital dans la diffusion de la culture et de la littérature à travers le monde.

Leur nom mérite une place de choix, non seulement à la fin de l’ouvrage, mais aussi sur la quatrième de couverture et dans toutes les communications liées à l’œuvre.

La vraie reconnaissance, c’est celle qui rend visible. Celle qui informe le public. Celle qui dit : « ce comic book que vous avez adoré, il a été traduit par quelqu’un qui y a mis tout son cœur. »

Pourquoi la traduction de comics américain en français mérite plus de visibilité et de respect

Il est temps de mettre un visage, une voix, un nom sur cette contribution.

Il est temps que les éditeurs, les médias, les lecteurs sachent que derrière chaque punchline mémorable, chaque réplique culte, chaque tirade de super-héros, il y a un traducteur. Et ce traducteur mérite lui aussi sa cape et son slip par-dessus le pantalon.

La traduction de bande dessinée est un métier exigeant, souvent sous-estimé, mais sans lequel bon nombre d’œuvres étrangères ne seraient tout simplement pas accessibles. Cette réalité mérite d’être connue, reconnue et valorisée.

Alors, la prochaine fois que vous dévorez un comic book traduit, cherchez le nom du traducteur. Citez-le. Partagez son travail. Faites du bruit pour ceux qui donnent une voix française à vos héros préférés. Parce qu’un bon traducteur, c’est un super-héros sans costume. Il est temps de lui offrir sa splash page.

Soutenez la visibilité des traducteurs : parlez d’eux, taguez-les, et réclamez leur nom là où il doit apparaître : en haut, pas en bas.