Jérôme Wicky : journaliste le jour et scénariste la nuit (ou vice versa)

Les oreilles de Mickey.

Jérôme Wicky : le monde de la BD se divise en deux catégories. Ceux qui dessinent des petits miquets. Et ceux qui les écrivent. Lui, il les écrit…

Aujourd’hui, en 2007, ça vous semble tout à fait normal d’avoir plein de potes sur le web. Genre, sur MySpace, sur MSN, sur mescouilles.com, etc. Des amis d’internet, vous en avez tous. Moi aussi. Et parfois, ces copains virtuels, vous les rencontrez dans la vraie vie et ça devient des vrais copains réels et tout. Ou ça devient des connards mais là n’est pas mon propos. J’ai « rencontré » Jérôme Wicky sur F.A.O. (Fin Addicts On-line, la communauté virtuelle des lecteurs du comic book Savage Dragon) il y plus de 10 ans. Ouais. C’est mon plus ancien copain d’internet. Et surtout, c’est un copain tout court, maintenant. On a essayé de lancer des projets ensemble en 1998 à l’époque des fanzines Climax Comics. C’est en grande partie grâce à lui si je me suis retrouvé traducteur des titres Crossgen chez Semic lorsqu’il a dû faire un break pour cause de surmenage (eh oui, son travail en agence de presse après le 11 septembre 2001 n’était pas de tout repos). En fait, j’adore tout ce que fait ce type et je pense qu’il mérite bien qu’on s’arrête un peu sur son travail.

Bon, mon petit Jéjé… et si on parlait de ta carrière de scénariste ? Par quoi tu as commencé ?

Jérôme Wicky : Professionnellement, par ce que je fais aujourd’hui, c’est-à-dire Mickey à Travers les Mondes, co-scénarisé par Jean-Marc Lainé et dessiné par José Antonio González. Avant cela, il y a eu pas mal de faux départs. Sans entrer dans le détail, on peut en évoquer un : disons que j’ai failli participer à l’aventure des pockets chez Semic, mais que j’ai en quelque sorte « loupé la fenêtre d’entrée ». Principalement à cause de mon inexpérience, en fait.

Aussi, un projet de B.D. made in France basée sur la licence « Transformers », avec Cyril Bouquet, qui est devenu un copain. Pareil, ça ne s’est pas fait, mais ça m’a appris des trucs sur… les choses qui ne se font pas, en fait.

Mickey à Travers les Mondes

Mickey à Travers les Mondes est publié plus ou moins régulièrement dans les numéros doubles spécial vacances du Journal du Mickey. On a commencé en août 2005 et on en est à 6 épisodes publiés. Ça ne bouge pas vite, mais au moins on a une présence régulière dans un des derniers grands hebdomadaires de BD, et il paraît que certains jeunes lecteurs voient Mickey à Travers les Mondes comme l’attraction principale des numéros doubles.

Ha ha ! Pas mal… pourvu que ça dure. Et donc, qu’est-ce que tu retires de cette expérience réussie ? Tu as appris une façon de travailler plus efficace ? Plus « pro » ?

Jérôme Wicky : Le premier truc que ça m’a appris, c’est à faire court, à faire une histoire en dix pages avec un début, un milieu, une fin. Quand je revois ce que j’avais écrit dans l’espoir de passer dans les pockets, avec un format similaire (au niveau nombre de pages, pas au niveau nombre de cases, c’est une différence importante), je me dis que c’était beaucoup trop touffu, avec trop de bulles, trop d’informations à faire passer… Maintenant, je sais faire un truc qui colle au format sans être vide ou fade, enfin je l’espère.

C’est aussi parce que je travaille avec Jim [Lainé], qui a de l’expérience dans les pockets et qui fait le séquencier la plupart du temps – pour nos lecteurs, le séquencier est un prédécoupage du scénario, qui décrit les actions page par page. Et même si souvent je modifie profondément le séquencier, j’ai cet espèce de filet de sécurité qui me permet de me lancer dans l’écriture : je vois quand je dois limiter les péripéties ou les bons mots des héros quand je risque de dépasser la page. Ou si je la dépasse, je vois ce que je dois supprimer ou simplifier sur la suivante pour que tout rentre.

Le filet de sécurité du scénariste BD

Avant, je ressentais le besoin de dessiner un mini storyboard que j’étais le seul à lire, pour savoir où j’en étais. Depuis le début de Mickey, en fait, je n’ai plus besoin de faire ça : j’ai écrit directement le séquencier du premier épisode de 24 pages, Jim l’a changé en script et j’ai fait les dialogues. Il faut dire que ce premier épisode était particulier, puisqu’il était censé paraître en sections de deux pages, donc, je collais un rebondissement toutes les deux pages. J’avais lu dans une interview de Van Hamme (dont je ne lis pas grand chose, ironiquement, à part Thorgal), qu’à l’époque où il était prépublié dans le magazine Tintin en épisodes de huit pages, il veillait à coller dans son récit des mini-rebondissements toutes les huit pages. Ça m’a paru malin et ainsi ça me donnait un autre « filet de sécurité » virtuel, une structure avec des bords à ne pas dépasser.

Aussi, en observant les autres BD Disney, je me suis livré à un exercice tout con, compter les pages et les cases. Genre : combien de cases y a-t-il, en général ? Quand il y a une scène de bagarre, où la place-t-on? Ce genre de choses… Sans y coller forcément, c’était instructif : je ne m’étais jamais pris la tête à lire une BD comme ça. Les conseils de notre rédacteur-en-chef, Jean-Luc Cochet, qui a quand même un paquet d’années d’expérience dans le domaine, ont été utiles aussi. En plus, c’est pas le gars contraignant, au début, quand il trouvait que nos histoires étaient trop touffues, il nous rajoutait deux pages ! Alors on pouvait aérer en rallongeant une bagarre, en rajoutant des scènes visuelles par-ci par-là, ou alors en étirant des scènes qui étaient parfois condensées sur une page avec trop de cases…

Mais il me reste encore beaucoup à apprendre, notamment au niveau des bulles. Parfois, on a des tombereaux de texte qui flottent au-dessus de Mickey et Iga, on dirait du Jacobs sous cocaïne, et c’est pas évident pour Gonzalez de les placer dans des cases déjà chargées en détail. Mais je crois que j’ai quand même fait des progrès à ce niveau depuis les premiers épisodes…

Jérôme Wicky : court en scénario mais long en interview

Est-ce ça me rend plus « pro » ? Peut-être, mais « pro » dans un domaine très spécifique : à part chez Disney, où peut-on faire une série à épisodes « self-contained » en dix pages ? Peut-être dans Fluide Glacial, c’est-à-dire dans un tout autre genre : l’humour pur. Mickey ne m’apprend pas vraiment à écrire dans d’autres formats comme l’album franco-belge ou le manga, qui sont nettement plus « décompressés ». Ça ne m’apprend pas davantage à formater un dossier pour qu’il plaise à un directeur de collection, cet être aux us et coutumes étranges et impénétrables… Mais là, nous quittons le champ de l’écriture pure, donc je vais fermer mon claque-merde.

 

Les oreilles de Mickey, un grand classique toujours chic en soirée. Jérôme Wicky n'a aucun rapport avec cette image, mais ça fait joli dans un article de blog.

En tout cas, si Mickey m’a appris à faire court en scénar, il ne m’a pas appris à faire court en interview !

On se retrouve très vite pour la suite et la fin de notre entretien avec le scénariste Jérôme Wicky avec quelques compléments visuels qui vous aideront à mieux comprendre ce qu’il raconte ci-dessus.