Super-héros : anges de la mythologie urbaine

J’ai récemment animé au Scriptorial du Mont Saint-Michel une conférence intitulée « super-héros : anges de la mythologie urbaine ». Pour cela, je me suis appuyé sur les travaux de mes collègues Jérôme Wicky et Alex Nikolavitch. Tous les deux ont étudié les rapports étroits liant comics américains, religion et mythes. Nous aurons l’occasion d’en reparler dans l’année.


Expo au Scriptorial d'Avranches

En 1938, Siegel et Shuster lancent Superman chez DC Comics. Le héros encapé devient l’archétype du super-héros américain. Il sera anti-interventionniste car en dépit de leurs pouvoirs extraordinaires, les super-héros n’ont pas le droit de changer le monde en profondeur. C’est la mission de Dieu, pas la leur.

Superman acquerra un statut iconique car les super-héros sont éternels, comme des figures bibliques, alors que le monde alentour évolue. Si l’existence de Dieu n’est jamais établie ni réfutée, elle fait partie du postulat de base. Malgré ses pouvoirs, nul super-héros ne peut être aussi puissant que Dieu lui-même. Le Phénix Noir est bien placé pour le savoir.

Si les super-héros ont des pouvoirs, ils doivent les utiliser pour le bien d’autrui et non pour leur bénéfice personnel. On touche à la culture du « vigilante » qui fait la justice lui-même. Les super-héros aident le bien à triompher du mal, ils sont comme des anges. L’Amérique désemparée de l’après Crise de 1929 avait besoin de héros. C’est à cette époque que fut créée la « sainte-Trinité » de l’univers DC Comics: Superman, Batman, Wonder Woman. Les personnages inventés en ce temps-là ont d’ailleurs souvent un côté divin, sinon mythique. Flash est une version moderne du dieu grec Hermès. Hawkman est muni d’ailes… et c’est un prince égyptien réincarné.

Pourtant, malgré tous ces influences indéniables, les Américains n’attendent pas d’intervention divine. Leur modèle, c’est le self made man. En effet, les Américains n’aiment pas les intermédiaires entre eux et Dieu. Et à la différence des catholiques, ils ne prient pas les saints. Ils se sont rebellés contre le roi George qui représentait Dieu sur Terre. Le seul intermédiaire qu’ils acceptent, c’est Jésus, dont les super-pouvoirs se sont manifestés par les miracles.

Savage Dragon #31

Longtemps, Dieu fut tabou dans les comics. Mais si le Dieu des chrétiens se faisait discret, ce n’était pas le cas des dieux païens, notamment ceux issus de l’Olympe ou d’Asgard. Et aux côtés de Thor et Hercule, les super-héros forment un panthéon moderne, apparaissant d’une histoire à l’autre, tels les anciens dieux grecs.

D’ailleurs, tout comme les Romains ont calqué leurs divinités sur les dieux grecs, les Américains ont copié leurs super-héros archétypaux sur des cultures plus anciennes. Le Surfeur d’Argent est une figure christique. Galactus est un dieu cosmique. Batman ressemble à la représentation médiévale du diable. Superman, abandonné seul dans un berceau spatial, est si puissant qu’il ne peut être conçu que comme un envoyé de Dieu sur Terre, destiné à réaliser Sa volonté. Après la deuxième guerre mondiale, Superman a acquis dans son monde fictif un rôle de « gendarme du monde » semblable à celui des USA : il est une sorte d’ange gardien omnipotent. Sa mission : le maintien du statu quo.

Dans les comics US, il existe une règle tacite : plus un super-héros est puissant, moins il va essayer d’interférer avec le fonctionnement du monde. Batman voudrait mais se contente de petits malfrats. Superman ne met pas fin aux dictatures, il nous protège des invasions extra-terrestres ou de Lex Luthor. Durant la Deuxième Guerre Mondiale, l’impact sur le monde « réel » s’est avéré minime : les super-héros ne peuvent pas faire de miracles qui affectent le monde réel. Les super-héros ne changent pas le monde (faim, pauvreté, guerres) grâce à leurs pouvoirs pour ne pas se comporter en faux dieux sacrilèges. Ils sont devenus des figures iconiques figées dans un statu quo rendu nécessaire par la société consumériste américaine. Du coup, ils tendent vers l’immortalité.


Les héros de comics correspondent donc à des figures archétypales mythiques comme le mentor (Professeur X), le héros solaire (Superman, Captain America), le Détective (Batman), l’Amazone (Wonder Woman), l’Ingénieux (Mister Fantastic, Iron Man), le Coureur (Diablo, Flash), le Magicien (Green Lantern). Les vilains aussi répondent à une nomenclature typique : le Voyou, le Fou, le Dévoyé, le Fripon, le Planificateur, le Double inversé, la Menace Cosmique. Je vous laisse le soin de trouver qui est qui… ou jetez-vous plutôt sur l’ouvrage de Nikolavitch « Mythe & Super-Héros » quand il sortira !