Des ateliers de traduction

Bernardo : docteur en sciences du langage

En tant que traducteur de comics, j’ai récemment participé à plusieurs ateliers de traduction dans des lycées. Ces rencontres sont organisées par l’ECLA avec professeurs de langues (parfois de français) et documentalistes de l’éducation nationale. Elles sont soutenues par la DRAC, le rectorat et la région Aquitaine.

À titre personnel, j’aime bien participer à ce genre d’événement. C’est un excellent moyen de voir autre chose, de s’aérer l’esprit et de puiser du vocabulaire frais auprès d’une jeunesse que je fréquente de moins en moins, par la force des choses. Eh oui, ça fait vingt ans que je l’ai eu, mon bac… J’ai passé plus de temps avec lui que sans lui. Dingue.

Je salue la volonté des pouvoirs en place de ne pas céder à la facilité en ne faisant appel qu’à des traducteurs et traductrices d’anglais. De nombreuses autres langues européennes sont à l’honneur pour ce programme : russe, portugais, italien, espagnol, allemand… j’en oublie.

De ces ateliers, quelques questions émergent à propos du métier de traducteur, notamment autour de la liberté et de la contrainte. Précisément les mêmes questions qui animent les apéros de traducteurs ou les soirées arrosées entre confrères de l’adaptation littéraire.

Jusqu’où peut-on s’affranchir du texte d’origine ? Le travail auprès des lycéens donne une réponse qui me convient très bien : aux chiottes les traductions sourcières ! Parce que traduire un texte, c’est d’abord le comprendre. C’est l’analyser, puis le reformuler dans une autre langue. Vers une autre langue. Vers d’autres locuteurs qui ont leurs propres systèmes de langages. Leurs propres cultures.

Une traduction n’est pas « juste » ou « fausse ». Elle convient. Elle est adaptée. Elle est cohérente. Ou elle est à chier… mais ne parlons pas des choses qui fâchent.

Traduire un texte étranger, c’est se réapproprier sa propre langue. C’est apprivoiser un morceau de culture étrangère pour l’intégrer dans sa propre culture d’arrivée. Un travail d’adaptation est nécessaire. On ne lâche pas un texte en langue étrangère comme ça, dans la nature, sans risque.

La pensée ne se formule pas de la même façon selon la langue et la culture d’origine du penseur. On raconte que les eskimos ont une dizaine de mots qui se traduisent tous par « blanc » en français. Pour penser juste, il faut maîtriser sa langue. D’où l’importance des études générales. Celles qui forment un honnête homme plutôt qu’un consommateur.

Ces ateliers de traduction n’ont pas pour objectif de former des traducteurs professionnels (j’ai assez de concurrence comme ça, merci). Cependant, ils peuvent former des traducteurs. Des traducteurs de la pensée. Nous avons besoin de traduire pour comprendre : traduire les signes, les lettres, les mots. Apprendre à traduire, c’est apprendre à comprendre. Et la compréhension, c’est le point de départ d’une pensée qui se construit. C’est le point de départ de la liberté.

Pour être libre, il faut comprendre. Il faut pouvoir déchiffrer le sous-texte. Entendre l’inaudible. Quand j’étais au collège, ma prof d’histoire-géo nous a dit qu’on devait savoir lire entre les lignes. Héhé. « C’est écrit en blanc », je lui ai répondu. J’étais joueur.

Qui veut du temps de cerveau disponible ?

Que vaut notre liberté si on a monnayé notre temps de cerveau disponible jusqu’à plus soif ? Attention, je ne suis pas dupe. Je prends ma part de responsabilité dans tout ça. Après tout, je traduis des œuvres de divertissement à l’accent yankee ou hollywoodien. Propagandes silencieuses. Je suis coupable.

Coupable de quoi ? D’avoir aimé lire des aventures de mecs en super-slips. D’avoir fait le tour du monde en 80 jours après une visite au Temple du Soleil. Je suis tombé dans la marmite de la lecture quand j’étais petit. Et maintenant que je suis grand, j’y pousse mes gosses. Et ceux des autres. Mais en français dans le texte !