Haunt : la dream team des comics indépendants

Haunt : Kirkman, McFarlane, Capullo, Ottley, FCO Plascencia

À l’occasion de sa publication en VF aux éditions Delcourt, j’ai relu le début du comic book Haunt. Le scénario de la BD est signé Robert Kirkman et les characters designs sont l’œuvre de Todd McFarlane. Un macaron l’indique fièrement sur la couverture : « par les créateurs de Spawn et Walking Dead ».

Effectivement, nous avons affaire à une espèce de « dream team » des comics indépendants (Image Comics est un petit poucet par rapport aux grosses maisons d’édition américaines de la BD mondialisée que sont Marvel ou DC Comics). Qui sont les auteurs bédéastes qui se cachent dans les coulisses de la fabrication de ce comic book horrifique ?


Haunt : le super-héros à moitié mort !

Le concept est avant tout la concrétisation d’un désir de collaboration partagé par Robert Kirkman, nouvel homme fort d’Image (il est seul membre associé de l’éditeur californien à ne pas faire partie des fondateurs de la boîte) et Todd McFarlane, homme d’affaire débordé de travail mais qui garde des velléités de retour à la création de bandes dessinées.

Tout commence lors de la fameuse Comic Con de San Diego à l’été 2006. Pour mémoire, le « con » de « Comic Con » est le diminutif de « convention », c’est-à-dire « salon ». La traduction de « Comic Con » est donc « salon de la BD » (et je ne suis pas sûr que ce soit très judicieux de dénommer un salon BD « comic con » en France, pays de Spidère-Mane). Bref, San Diego, c’est l’Angoulême américain. En été. Faudra vraiment que j’y aille un jour, tiens…

San Diego, donc. Alors que Todd McFarlane donne une conférence pour présenter les activités de sa société TMP (Todd McFarlane Productions), un barbu grassouillet l’interpelle à propos de son manque d’implication dans ses sorties BD. En effet, lorsque McFarlane et les Image-boys ont créé leur nouvelle maison d’édition, ils ont déclaré que c’était pour s’affranchir des chaînes qui les empêchaient de libérer leur potentiel créatif. En gros, ils quittaient les gros éditeurs pour pouvoir enfin dessiner et imaginer des comics en toute liberté. Si c’est effectivement ce qu’a pu faire Erik Larsen avec le Savage Dragon, les autres fondateurs de la maison d’édition de Berkeley ne peuvent pas en dire autant. Et certainement pas le père de Spawn.

– Et si Kirkman vous proposait d’écrire un comic book pour vous, vous accepteriez de le dessiner ?
– Oui, certainement.

Piégé. Bien joué, Kirkman, tu peux dire au monsieur qui tu es, maintenant. En effet, si McFarlane connaît bien le nom du scénariste de Walking Dead pour le voir en tête des ventes mensuelles avec sa série de morts-vivants, il ne l’a jamais rencontré en vrai pour autant. Du coup, lorsque Robert Kirkman dévoile son identité au dessinateur canadien, ce dernier n’a d’autre choix que de se mettre d’accord avec lui pour lancer – un jour – un nouveau projet de comics. Ce projet, ce sera « Haunt ».

Image teaser pour promouvoir Haunt avant sa sortie

Après avoir fait durer le plaisir à coups d’effets d’annonces et d’images en avant-première, la série démarre enfin en octobre 2009, juste à temps pour Halloween. Le succès est immédiatement au rendez-vous, avec des ventes dépassant 60 000 exemplaires pour le premier épisode, c’est-à-dire mieux que les ventes régulières de Spider-Man à l’époque, ce qui n’est pas anodin.

Les auteurs de comics qui ont collaboré sur ce titre ont tous fait leurs preuves sur d’autres séries qui sont autant de best-sellers de la BD.

Au scénario, Robert Kirkman mixe ses deux séries fétiches : Invincible pour le côté super-héroïque et Walking Dead pour le côté mort-vivant. On sent qu’il a pris de la bouteille entre ses débuts chez Image (voire avant chez Funk-O-Tron) et son premier chapitre de Haunt. En effet, le scénariste installe de nombreux éléments qui serviront de fondation à une série appelée à devenir un des piliers de la firme californienne. Des origines fortes pour le personnage, un incident déclencheur clairement montré, des personnages récurrents intéressants, un triangle amoureux (ou deux), un McGuffin… tous les ingrédients sont là pour alimenter en quantité et en qualité les prochaines aventures de Haunt.

Au dessin, c’est la fête. Todd McFarlane a déjà activement participé à la représentation graphique du personnage. Hormis quelques couvertures, il s’implique carrément dans les planches BD de la série en signant l’encrage de plusieurs épisodes. Il n’a pas perdu son toucher, on se croirait revenu à l’époque du Spider-Man « sans adjectif » et de sa toile spaghetti. Haunt est quasiment un hommage à cette période, les manifestations physiques du pouvoir de Daniel Kilgore (le héros) rappelant beaucoup celles du symbiote amoureux de Peter Parker : Venom !

Au découpage, c’est-à-dire à la réalisation du story-board de la planche, c’est Greg Capullo qui intervient ? Greg est un vieux de la vieille. Je l’ai découvert chez Marvel au début des années 90 sur Quasar, puis surtout dans X-Force où il a porté la jeune série à son meilleur niveau, avant de se faire embaucher par TMP pour reprendre Spawn pour lequel il fut tout simplement le meilleur dessinateur de toute la série. Pour la petite histoire, il a aussi créé The Creech chez Image, dont la deuxième série fut mon premier travail de traduction de comics pour Semic en 2001 !

Aux crayonnés proprement dits, c’est Ryan Ottley qui œuvre, en parallèle à son travail sur Invincible. On reconnaît bien son trait caractéristique qui se mêle parfaitement à celui de Greg Capullo. À tel point que le lecteur a du mal à différencier les deux styles. Leur collaboration est une vraie réussite, chacun apportant à l’autre ce qui lui manque pour parvenir à un résultat concluant. En toute sincérité, je peux vous dire que je préfère les dessins du duo Capullo & Ottley à leurs travaux respectifs en solo. C’est sans doute le fonctionnement symbiotique du héros qui déteint sur eux.

L’encrage est, pour l’essentiel, réalisé par Todd McFarlane lui-même. Il a vraiment la pêche et donne à ce nouveau titre toute le piquant qui manque parfois à un Invincible un peu lisse, par exemple. En parachevant le travail du duo de dessinateurs cité auparavant, il met le point final à chaque planche, assurant un contrôle qualité digne du contremaître le plus sévère. Dommage qu’il ne s’applique pas à lui-même cette rigueur : la couverture qu’il a dessinée pour le sixième numéro de Haunt est plutôt indigente.

La colorisation des planches est confiée à FCO Plascencia, déjà responsable des superbes couleurs qui ornent la série Invincible. Sur Haunt, son travail est complètement différent. Plus sombre. Les atmosphères et les ambiances reçoivent davantage d’attention. Mais on sait que Todd McFarlane lui-même vient mettre son nez dans les couleurs, alors c’est peut-être sa patte qui transparaît.

Couverture du comic book Haunt en VF aux éditions Delcourt

L’édition française du premier tome de Haunt vient de sortir chez Delcourt dans une bonne traduction de mon confrère Arthur Clare (également scénariste sur le récent Spawn: Architects of Fear). Essayez ce nouveaux super-héros, c’est de la bonne BD d’aventure et de bagarre !